Hydrogène superstar : la clé d'un monde décarboné ?

L'hydrogène attire déjà d'importants flux de « smart money » en provenance d’investisseurs sophistiqués, car les récentes avancées technologiques font de ce gaz un catalyseur potentiel pour fermer la boucle de la production d'énergie renouvelable. Un aspect essentiel de la réalisation des objectifs de l'accord de Paris consistera à utiliser des sources d'énergie neutres en carbone, dont notamment de nouveaux types de carburants et de nouvelles technologies pour le transport routier et l'aviation.

La Commission européenne travaille sur des propositions qui visent à augmenter par étape la production d'énergie  à  base  d'hydrogène  pour la porter à 6 gigawatts (GW) d'ici 2024 et à 40 GW d'ici 2030. Ce dernier chiffre est égal à la capacité maximale de 20 fois le Barrage Hoover aux Etats-Unis1, ce qui équivaut également à la consommation électrique de près de 20 millions de foyers. Selon la Commission européenne, cela nécessitera des investissements considérables, de l’ordre de 180 à 470 milliards d'euros d’ici 2050.

L'intérêt des investisseurs pour les entreprises qui travaillent autour de l'hydrogène et ses technologies a considérablement augmenté : certaines valeurs ont enregistré une appréciation moyenne de 300% depuis le début de l’année 20202 et les courtiers bombardent leurs clients de documents sur les opportunités d'investissement dans ce domaine.

Ce sentiment de marché positif contribue indéniablement à stimuler la dynamique à court terme du marché de l'hydrogène. Cependant, en tant qu’investisseurs long terme, nous accordons une attention particulière à des facteurs clés tels que l'ampleur du marché potentiel de l'hydrogène et le stade de développement de chacun des projets envisagés. Certains de ces projets, dans le domaine ferroviaire par exemple, sont déjà à l'essai, tandis que d'autres ne seront probablement pas viables économiquement avant au moins 20 ans. Pour les investisseurs, cette situation offre des possibilités de diversification entre des projets avec différentes échéances, ou entre différents types d’entreprises (électrolyse, producteur d'hydrogène ou fabricant de piles à combustible).

 

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Production d’énergie

Le coût des énergies renouvelables a diminué au cours de ces dernières années. Pour au moins deux tiers des habitants de la planète, les énergies solaire et éolienne terrestre sont désormais les sources d’énergie électrique les moins chères3.

Cette évolution a contribué au développement de la technologie de l'hydrogène, car celle-ci a une relation interdépendante et synergique avec les énergies renouvelable : le succès des premières favorise les résultats de l’autre. Lorsque la production d'énergie renouvelable est supérieure à la demande, l'excédent d'énergie peut être acheminé par un électrolyseur pour la production d'hydrogène vert, qui peut à son tour être stocké puis reconverti en électricité lorsque la production d'électricité renouvelable est faible. Ce processus pourrait permettre d’accélérer de manière considérable la transition énergétique dans le secteur de l'électricité. L'hydrogène pourrait également contribuer à la décarbonisation des secteurs à forte intensité énergétique qui ne disposent que de solutions alternatives très limitées, comme la production d'acier.

Le passage à l’hydrogène pourrait se produire plus rapidement que certains ne l’anticipent. La production d'électricité à partir de l'hydrogène peut utiliser les ressources de distribution d'énergie existantes, sans avoir à dépendre de la construction de nouvelles lignes à haute tension. Ce constat s’applique également aux transports, car il est possible de construire des stations de carburant à base d’hydrogène reliées à des centrales électriques à l’hydrogène dans tout le pays4.

Nous considérons l'hydrogène comme un catalyseur potentiel de la création de valeur à long terme dans le secteur de l'énergie. Il ne s’agit toutefois pas encore d’une option réellement compétitive pour ce secteur, et il existe d’autres obstacles sur le plan de la réglementation, du développement des infrastructures et des progrès technologiques. Il sera en outre nécessaire d'augmenter les capacités de production d'électricité « verte » nécessaire à la production du hydrogène « vert ».

 

Transport routier

Le secteur des transports sera une cible majeure des efforts d'innovation liés à l'accord de Paris, car il est responsable d'un quart des émissions directes totales de CO2 dans le monde. Les voitures, les bus et les motos sont responsables des trois quarts de ces émissions, le reste provenant des secteurs en pleine croissance que sont l'aviation et le transport de marchandises. Le rail, qui est le mode de transport le plus efficace en matière de bilan carbone, ne représente que 2% de la consommation totale d'énergie du secteur.

L’Union européenne (UE) impose des objectifs intermédiaires très ambitieux pour encourager les constructeurs à étudier des alternatives aux moteurs à combustion polluants. Les coûts d'investissement pour le développement de nouveaux véhicules équipés de moteurs à combustion sont actuellement les plus faibles, mais nous pensons que les moteurs à hydrogène offriront un potentiel important de réduction de coût si on se place sur un horizon de dix ans. Nous ne sommes pas encore au point auquel une solution de pile à combustible à base d'hydrogène pourrait constituer une option rentable pour les véhicules légers, ce qui fait que le choix se limite aujourd’hui aux moteurs à combustion et aux véhicules électriques.

En ce qui concerne le mode de transport dit « lourd », la taille des batteries électriques le rend moins pratique. Un camion électrique à batterie de 40 tonnes ayant une autonomie de 500 km nécessite par exemple huit tonnes de puissance de batterie, ce qui limite son intérêt pratique pour le transport de marchandises sur de longues distances. L'hydrogène, qui fournit trois fois plus d'énergie par kg que le diesel, même si les réservoirs sont plus lourds, pourrait être une solution. C’est la raison pour laquelle des projets de semi-remorques à hydrogène sont déjà bien avancés. En ce qui concerne les véhicules légers, l'hydrogène ne pourrait devenir une alternative aux moteurs à combustion ou électriques que vers 2030, selon les scénarios de réduction des coûts.

 

Avions, bateaux et trains

L’aviation et le transport maritime représentent 2,5% des émissions mondiales de CO2. Les experts estiment toutefois qu’en ce qui concerne l’aviation, les estimations devraient être au moins multipliées par deux, car la vapeur dégagée par les avions à haute altitude a également un effet de serre important.

Les carburants liquides à base d'hydrogène pourraient offrir une alternative au carburant d’aviation. Il faudrait pour cela des turbines à combustion plutôt qu'une pile à combustible qui n’a pas la puissance nécessaire pour faire décoller un avion. Le stockage impliquerait également de modifier la conception des avions et les infrastructures de soutien. L'hydrogène n’est donc pas près de pouvoir remplacer le kérosène, et seuls les scénarios les plus optimistes le considèrent comme une alternative viable pour l’aviation d’ici 2045 au plus tôt.

Dans le transport maritime, Maersk est la première compagnie à viser la neutralité carbone d’ici 2050. Il faudra pour cela que des navires à bilan carbone neutre soient disponibles d’ici 2030.

Le rail est déjà l'un des modes de transport les plus efficaces sur le plan énergétique, puisqu'il représente 8 % des déplacements motorisés de passagers et 7 % du fret dans le monde, mais seulement 2 % de la consommation d'énergie des transports et n'est responsable que de 0,3% des émissions de CO2. Malgré cela, des trains fonctionnant à l’hydrogène ont déjà été déployés à titre expérimental et d’autres sont actuellement en cours de développement.

L'hydrogène est ainsi appelé à devenir un maillon essentiel de l'approvisionnement en énergies alternatives et un élément crucial du monde « neutre en carbone » auquel nous aspirons pour l'avenir.

Cette technologie existe depuis les années 1970. Malgré les progrès technologiques et un certain soutien des pouvoirs publics ces dernières années, le déploiement de l'hydrogène reste tributaire de nombreux facteurs, dont notamment l’existence de conditions favorables à la réduction des émissions de CO2, le prix des énergies renouvelables et un plan de relance européen qui met un accent particulier sur l'hydrogène pour parvenir à la neutralité carbone d'ici 2050.

Nous pensons qu'une action politique forte en faveur de la décarbonisation devrait accélérer le processus de transformation de l'hydrogène en une source d'énergie alternative puissante et économiquement viable. Cependant, malgré tous les progrès réalisés sur le plan technologique et réglementaire, le succès de l'hydrogène dépendra en grande partie des coûts. Le prix des électrolyseurs et le coût de l'énergie hydrogène neutre en carbone sont encore trop élevés. Nous estimons en outre que l’augmentation des capacités de production d’électricité à base d'hydrogène et le développement d’électrolyseurs plus puissants ne pourront se faire qu’avec des réseaux énergétiques plus intelligents. Bien que l’utilisation commerciale de l'hydrogène ne représente encore qu'une petite partie du chiffre d'affaires des principaux acteurs, un marché en expansion peut changer les choses très rapidement.

 


1 https://www.climatecentral.org/blogs/helpful-energy-comparisons-anyone 
2 https://www.reuters.com/article/us-eu-hydrogen-breakingviews-idUSKCN24N0X0 
3 https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-04-28/solar-and-wind-cheapest-sources-of-power-in-most-of-the-world 
4 https://cleantechnica.com/2020/10/11/usas-100-million-green-hydrogen-fuel-cell-plan/