Immobilier et opéra, des similitudes saisissantes

Simon Martin
Chief Investment Strategist & Head of Research, Tristan Capital Partners

Le regretté Stephen Sondheim fut probablement le plus grand compositeur de comédies musicales du XXe siècle. Il a un jour déclaré « L’art en soi est une tentative de mettre de l’ordre dans le chaos ». Les plus illustres compositeurs d’opéra ont d’ailleurs vécu à des époques tragiques. Puccini a composé pendant les guerres de réunification en Italie. Mozart et Beethoven ont été les témoins des deux premières décennies de la révolution industrielle et du Siècle des lumières. Les opéras de Wagner sont pour le moins intenses. Il semble que les plus grands chefs-d’œuvre de l’opéra aient vu le jour en des temps incertains.

Quelqu’un, sur cette terre, devrait donc composer un opéra en s’inspirant des tristes événements survenus en 2022. Dans un monde post-COVID, la guerre a éclaté aux frontières orientales de l’Europe. S’en est suivi l’augmentation la plus fulgurante des taux d’intérêt que le monde ait connue depuis le début des années 80 et une accélération de l’inflation sans commune mesure à l’ère de la mondialisation. Dans le même temps, les obligations et les actions ont été volatiles, avec une évolution corrélée et ont enregistré des performances décevantes. La réputation de probité fiscale du Royaume-Uni, acquise de haute lutte, a été écornée. Les cryptomonnaies ont été durement touchées et semblent à l’agonie. Les valeurs technologiques des FAANG (Facebook, Apple, Amazon, Netflix et Google) ont retrouvé du mordant. Les investisseurs ont dû être sélectifs et faire des choix avisés pour placer leurs capitaux en toute sécurité.

Malgré ce marasme, l’immobilier a connu une année plutôt satisfaisante. Même si l’ « effet de dénominateur » a fait progresser le poids des capitaux alloués à l’immobilier pour bon nombre d’investisseurs et même si les flux de capitaux ont connu un ralentissement, la stabilité inhérente à cette classe d’actifs, la solidité des fondamentaux opérationnels et l’indexation des baux ont collectivement contribué à protéger les investisseurs contre les turbulences qui secouaient les autres marchés.

Nous ne devons toutefois pas présumer que l’immobilier est totalement à l’abri de l’agitation qui secoue l’économie. Les fondamentaux opérationnels sont bons et ancrés par un faible risque pour la demande mais chacun peut aisément comprendre que les frimas de la récession soufflent sur l’Europe. Il est probable que les banques centrales gardent la mainmise qu’elles exercent sur les politiques monétaires. Les liquidités et le financement seront de fait raisonnés et les virtuoses de la gestion de portefeuilles et des risques devraient sortir leur épingle du jeu. Du fait de l’importance grandissante de l’efficacité énergétique et des facteurs ESG aux yeux des locataires, les immeubles devront être pensés dans les moindres détails afin de faire face à une concurrence toujours plus rude dans un contexte économique plus difficile. Il semble donc que l’intensité capitalistique continuera d’augmenter et qu’une gestion avisée des actifs immobiliers devra s’imposer sur le devant de la scène. De même, les biens immobiliers sont des actifs idiosyncrasiques et illiquides, le risque relatif au prix est par conséquent complexe et les capitaux ne circulent pas toujours de manière uniforme et efficace vers les secteurs dans lesquels ils sont indispensables. Cela engendre un risque, celui de voir ceux qui ont besoin de capitaux de toute urgence pour faire face à des difficultés, de ne pas les trouver.

Tous les investisseurs ne sont pas préparés à surmonter ces obstacles et il est donc presque inéluctable que certains d’entre eux cherchent désespérément de l’aide au pire moment qui soit. Certains choisiront de vendre, tandis que d’autres pourront y être poussés par des créanciers impatients. Cela créera des opportunités pour les investisseurs immobiliers que cela soit en dette ou en capital. L’histoire nous a appris qu’investir à une époque où les capitaux sont rares est, à tous les égards, la période la plus favorable en termes de performances à long terme. Toutefois, les capitaux seuls ne suffisent pas, les investisseurs doivent également faire preuve de conviction.

Nous sommes persuadés que, sur le marché en constante évolution tel que nous le connaissons actuellement, la conviction est indéniablement une composante des fondamentaux opérationnels, à savoir la dynamique de l’offre et de la demande. Du côté de la demande, plusieurs tendances à long terme favorisent la recherche d’espace, un besoin qui peut être utilisé par les bailleurs pour créer une plus grande liberté de choix et ainsi réduire le risque cyclique induit par la récession. Ces facteurs historiques seront les plus notables dans les villes où la démographie est la plus dynamique et où les niveaux de vacance sont les plus bas, surtout dans celles où la construction a toutes les peines du monde à reprendre dans le sillage des problématiques de coûts et de calendrier liées à la pandémie de COVID. Ces marchés seront les plus résilients face aux pressions. Ce sont des marchés où l’indexation sera probablement la plus facilement acceptée par les locataires, où la reprise devrait être la plus forte et, de fait, où les rendements et les taux de capitalisation seront les moins touchés par l’incertitude et la volatilité des taux d’intérêt.

La légende raconte que le personnage de Tristan aurait privé Mark Twain de son célèbre sens de l’ironie. Après avoir assisté à une représentation de « Tristan et Isolde » de Wagner, il a ainsi écrit à ce sujet : « Je n’avais jamais rien vu de tel. » Il avait probablement vu juste ! Mais, même dépourvues de l’ironie légendaire qui le caractérise, ses paroles trouvent un écho de nos jours. La période que nous vivons est certes difficile mais c’est dans la difficulté que naissent les plus belles opportunités. Il existe toujours une porte de sortie. Mark Twain avait compris qu’une conviction et une confiance pragmatiques dans le compositeur de votre opéra sont indispensables.