Après s'être concentrée sur les élections en France et au Royaume-Uni, l'attention des investisseurs se tourne désormais vers les États-Unis. Le premier débat présidentiel a renforcé la probabilité d'un second mandat de Donald Trump, ce qui se traduit par un risque inflationniste pour 2025.
Au-delà de la politique, nous nous concentrons sur les mesures envisageables, notamment dans les domaines monétaire et budgétaire. À cet égard, un indice des prix à la consommation (IPC) plus faible qu’attendu aux États-Unis pour le deuxième mois consécutif a renforcé les anticipations d’une baisse des taux de la Réserve fédérale (Fed) en septembre. Plusieurs banques centrales ont déjà assoupli leur politique au premier semestre – notamment la Banque centrale européenne (BCE) – et devraient poursuivre dans cette voie.
Si l’évolution de la situation politique incite à la prudence des deux côtés de l'Atlantique, les mesures susceptibles d’être adoptées permettent de rester optimiste à l’égard des marchés boursiers des pays développés. À l’approche de la saison des résultats, les estimations de croissance des bénéfices du deuxième trimestre sont relativement solides et subissent moins de révisions à la baisse que d'habitude, le consensus tablant sur une croissance des bénéfices de 9 % en glissement annuel pour le S&P 500 – il reste à savoir si cette résilience concernera un univers boursier élargi.
Sur le front obligataire, nous privilégions des emprunts d’État sûrs qui offrent une bonne couverture et un portage attrayant, alors que les tendances mondiales à la désinflation deviennent de plus en plus évidentes. Pour la suite, nous resterons attentifs aux décisions politiques entraînant une augmentation des droits de douane et un resserrement du marché de l'emploi aux États-Unis, qui se traduiraient par une nouvelle hausse de l'inflation.
Le Royaume-Uni est l’improbable vainqueur des élections organisées en Europe cet été
Compte tenu de la situation en France, le Royaume-Uni – dont le gouvernement dispose d’un mandat clair et d'une véritable capacité d'action – apparaît comme l’improbable vainqueur des récents scrutins européens. Les nominations au sein du Cabinet ont été rapides et plusieurs ministres ont présenté leurs priorités politiques dans les jours qui ont suivi.
La nouvelle chancelière de l'Échiquier, Rachel Reeves, a ainsi prononcé son premier discours dès sa prise de fonction, présentant un plan qui vise à « relancer la construction en Grande-Bretagne », notamment par le biais d’une réforme du plan d’aménagement du territoire. Le même jour, Ed Miliband, nouvellement nommé secrétaire d'État à la Sécurité énergétique et à la Neutralité carbone, a annoncé que le Parti travailliste avait annulé l'interdiction des projets éoliens terrestres. Le lendemain, le gouvernement a confirmé la création d'un Fonds national pour l’investissement visant à financer des projets d'infrastructure clés.
Dans ce contexte, la discipline budgétaire affichée par le Parti travailliste, la tendance désinflationniste récente (l'IPC s’est établi à 2,0 % en mai) et la probabilité croissante d'une baisse des taux de la Banque d'Angleterre (BoE) ont marqué les esprits.
France : des risques à l'incertitude
La rapidité des changements au Royaume-Uni contraste avec la situation politique en Europe continentale, où le Parlement européen doit se réunir avant les vacances d'été pour voter sur la composition de la nouvelle Commission européenne. Le risque d'annulation de décisions antérieures peut probablement être écarté, mais l'incertitude menace désormais plusieurs étapes clés vers la neutralité climatique à l’horizon 2050 (possible révision de l'interdiction des voitures à combustion en 2035).
En France, le second tour des élections législatives anticipées convoquées par le président Emmanuel Macron a débouché sur un résultat indécis : la victoire surprise de l'alliance de gauche et un Parlement sans majorité impliquent une montée de l’incertitude politique. Cela constitue une situation inédite pour la Ve République, alors qu’une coalition doit être formée pour assurer la stabilité politique dans un contexte de marge de manœuvre budgétaire limitée. Nous observons néanmoins que le risque d'une majorité absolue de l'extrême droite ou de l'extrême gauche a été évité et que les forces anti-UE n'ont pas obtenu la majorité au sein de la nouvelle Assemblée nationale.
États-Unis : de l'incertitude aux risques
Aux États-Unis, le premier débat présidentiel télévisé semble avoir été décisif en faveur de Donald Trump. Si les risques politiques extrêmes en Europe et l'incertitude liée au résultat des élections américaines de novembre ont reculé, des risques de marché subsistent concernant les mesures qui seront adoptées aux États-Unis.
Après le premier débat présidentiel, l'incertitude pesant sur l’issue du scrutin a fortement diminué. Toutefois, les marchés devront probablement attendre plusieurs mois avant d'obtenir plus de visibilité sur les mesures envisagées : si Donald Trump tient ses engagements une fois élu, l'inflation augmentera en raison de la hausse des droits de douane et du resserrement du marché de l'emploi. Pour rester crédible, la Réserve fédérale n'aurait alors pas d'autre choix que de resserrer sa politique monétaire malgré l'essoufflement de l'activité. Les risques associés à ce scénario extrême expliquent la persistance inhabituelle d'un indice VIX élevé sur les échéances de novembre et décembre, alors qu’historiquement la volatilité s’effondre après l'élection.
Opinion positive sur les marchés actions des pays développés
Au-delà de l’incertitude politique, nous analysons les mesures envisagées par les diverses autorités, qui sont des moteurs de performance essentiels. Concernant le mix croissance/inflation, les chiffres les plus récents ont confirmé la tendance mondiale à la désinflation, notamment aux États-Unis. Dans la conjoncture actuelle, notre scénario estimant que les taux d'intérêt ont atteint un pic et que la Réserve fédérale entamera son cycle d'assouplissement monétaire en septembre gagne dès lors en crédibilité.
Nous notons que le ralentissement de l'inflation – y compris l'inflation sous-jacente – est simultané dans les différentes régions. Ce recul de l’inflation ouvre la voie à un assouplissement des autorités monétaires européennes (par exemple, la BCE, la BoE, la BNS et la Riksbank) au troisième trimestre. Comme plusieurs banques centrales des marchés émergents réduisent déjà leurs taux depuis 2023, un cycle d'assouplissement mondial synchronisé semble enfin se profiler. Un possible changement de locataire à la Maison Blanche et la redéfinition des priorités des politiques économiques américaines pourraient influer sur la vitesse et l'ampleur de cet assouplissement.
La conséquence pour nos allocations en actions est simple : nous surpondérons légèrement les États-Unis, l’Europe hors EMU et le Japon. Nos convictions sur les marchés boursiers régionaux sont les suivantes :
- En ce qui concerne les États-Unis, au-delà de la solidité des bénéfices, l’ajustement des anticipations monétaires soutient les titres technologiques. Le leadership de marché du segment et sa relative insensibilité à l’élection présidentielle américaine renforcent notre point de vue. À l'approche de la saison des résultats du deuxième trimestre, la forte croissance des bénéfices par action devrait continuer à soutenir le marché, tandis que la réduction du différentiel de croissance devrait se traduire par un élargissement des performances au-delà des « méga-capitalisations ».
- Sur fond de stabilité politique, les valorisations restent attrayantes sur le marché britannique, qui offre un potentiel d'expansion des multiples, tandis que la Banque d'Angleterre devrait commencer à réduire ses taux cet été. Les petites et moyennes entreprises britanniques devraient notamment bénéficier de l'amélioration de la confiance des consommateurs.
- Au Japon, la sortie d'une déflation de plusieurs décennies et le succès des réformes concernant la gouvernance d'entreprise devraient faire plus que compenser l’impact du durcissement relatif de la politique monétaire.
- Nous sommes neutres sur les actions de la zone euro, car le bloc affronte une montée de l'incertitude politique et une prime de risque plus élevée semble justifiée. Notre préférence pour les petites capitalisations européennes permettra de bénéficier d'une inflation plus faible et d’une baisse des taux directeurs, dans l'attente d'une reprise de la consommation.
- Enfin, nous conservons une opinion neutre vis-à-vis des actions des marchés émergents en attendant une amélioration de la confiance des consommateurs. Il convient de noter que l'activité économique en Chine est toujours fragile et que l'évolution des prix demeure déflationniste, dans un contexte de confiance des consommateurs au plus bas : les dernières données de la balance commerciale ont confirmé que la demande intérieure restait déprimée.
Obligations : position longue de duration, sur fond d’équilibre des risques asymétrique aux États-Unis
Nous constatons actuellement un équilibre des risques asymétrique sur la duration américaine, car les prochaines baisses de taux sont de plus en plus intégrées dans les rendements obligataires, tandis que le risque d'une hausse de l'inflation en 2025 ne l'est pas. Le début prochain d'un cycle d'assouplissement de la Fed et le potentiel de hausse de l'inflation due à l’augmentation des droits de douane et au resserrement du marché de l'emploi sont reflétés dans la pentification de la courbe des taux : l'inversion de la courbe des rendements souverains a soudainement commencé à se normaliser à la suite du débat présidentiel. Autrement dit, les positions de pentification constituent des paris sur la victoire de Donald Trump.
Face à l'assouplissement monétaire et à la montée de l'incertitude politique, les obligations sûres représentent un investissement attrayant tandis qu’un nouveau resserrement des spreads de crédit s’avère peu probable. Nos convictions sur les obligations peuvent être résumées comme suit :
- En prévision d’un recul des rendements souverains américains, la réévaluation agressive de la politique monétaire de la Réserve fédérale étant derrière nous, nous avons exploité un point d'entrée au printemps dernier pour miser sur la classe d'actifs, une position aujourd’hui dénouée. Nous sommes actuellement neutres sur la duration aux États-Unis.
- Nous maintenons une position neutre sur le crédit et détenons une exposition minime aux obligations souveraines émergentes, dans un contexte de spreads très serrés.
- Nous ciblons en revanche le portage associé aux dettes souveraines des pays européens sûrs/« core ». Nous avons réduit notre exposition aux OAT françaises par rapport aux Bunds allemands. Nous conservons une position longue de duration via l'Allemagne et le Royaume-Uni dans un contexte de ralentissement de l'inflation, de stabilité budgétaire et de baisses de taux imminentes de la BCE et de la BoE.