Les industriels mondiaux évoluent dans un environnement complexe, marqué par les droits de douane, des conflits commerciaux et de nouvelles alliances, des perturbations dans les chaînes d'approvisionnement, ainsi qu’une montée des tensions géopolitiques. Aux États-Unis, cela a déclenché une nouvelle ère de réindustrialisation axée sur le « Made in America ». Les entreprises repensent leurs stratégies de production, ayant identifié des avantages à relocaliser leur production aux États-Unis. Ce changement devrait générer des opportunités d'investissement intéressantes pour les investisseurs de long terme.
Au cours des dernières décennies, la mondialisation a transformé les systèmes de production. Plus de la moitié des pièces composant les automobiles vendues aux États-Unis proviennent aujourd’hui de pays autres que les États-Unis ou le Canada [1]. En 2024, les États-Unis ont importé plus de biens manufacturés que jamais au cours des dix dernières années, en provenance de nombreuses régions du monde.
Aujourd'hui, les grands industriels américains réévaluent leurs stratégies et rapatrient leur production et leurs activités commerciales plus près de leur marché intérieur, dans un mouvement que l’on appelle la relocalisation (reshoring). D’après Capgemini [2] , près de 60 % des dirigeants d'entreprises américaines ont investi dans la relocalisation de proximité (nearshoring) ou dans une combinaison de reshoring et de nearshoring - c’est-à-dire le transfert des opérations ou de la fabrication vers des pays frontaliers - par exemple de la Chine vers le Mexique.
Quelles sont les raisons de ce mouvement ? D’abord, la maîtrise des coûts ; les chefs d'entreprise évoquent également la durabilité et les tensions géopolitiques.
L’opportunité d'investissement derrière le « Made in America »
Ce mouvement est à la fois stratégique et important économiquement. Selon des estimations récentes du gouvernement américain, les investissements dans le reshoring, la fabrication de matériel de défense et les infrastructures pourraient injecter jusqu'à 450 milliards de dollars dans l'économie américaine au cours des cinq prochaines années [3], et générer une forte demande dans les secteurs industriels et technologiques.
Plus largement, les souhaits d'autonomie stratégique sont également à l'origine d'un soutien ciblé de la politique industrielle dans des domaines critiques tels que les semi-conducteurs, les terres rares et la sécurité énergétique - tous essentiels à la résilience nationale et au leadership technologique. Cela crée des opportunités tangibles pour les investisseurs.
Par exemple, le marché mondial des semi-conducteurs devrait dépasser les 1 000 milliards de dollars d'ici 2030 (selon Gartner), alors que plus de 70 % des terres rares utilisées aux États-Unis sont actuellement importées de Chine [4] , ce qui souligne à la fois l'urgence et le potentiel de développement des capacités nationales.
Usines intelligentes : La colonne vertébrale de l'industrie moderne
En abandonnant leurs anciens modèles industriels, les entreprises auront également l'opportunité de se moderniser grâce aux technologies des usines intelligentes. La robotique, l'automatisation et les processus fondés sur les données sont en train de devenir centraux dans l’industrie, avec des investissements dans les installations robotiques en forte croissance (+ 12 % aux États-Unis l'année dernière selon IFR Robotics) ainsi que des chaînes d'assemblage intelligentes, des machines auto-apprenantes, des jumeaux numériques et des capteurs IoT (Internet des Objets) transmettant des données en temps réel.
Cette transformation exige des investissements importants dans les logiciels d'IA, dans l'infrastructure du cloud et le edge computing (informatique en périphérie, i.e. traitement des données au plus près des sources de données plutôt que dans un cloud centralisé). L'intelligence artificielle joue désormais un rôle essentiel dans la maintenance prédictive, le contrôle qualité et la gestion des stocks, tandis que les solutions cloud et edge permettent de traiter des données à grande échelle et de coordonner l'ensemble des sites de production. Dans le même temps, la cybersécurité est passée du statut de simple protection technique à celui d’impératif stratégique.
En relocalisant leurs opérations, les entreprises ne se contentent pas de déplacer leur production - elles s'engagent activement dans un processus de réindustrialisation, en réinventant et modernisant leurs modèles industriels. Cette réindustrialisation stimule l'innovation et le progrès technologique, favorisant des processus de fabrication plus agiles et plus efficaces, améliorant l'efficacité opérationnelle, réduisant les coûts, ce qui augmentera la rentabilité à long terme.
Dans l'ensemble, cette évolution industrielle stimule la demande dans plusieurs domaines d'innovation à fort impact :
- La robotique et l’automatisation, pour les opérations physiques et les logiciels d'optimisation des processus intelligents
- Les technologies du cloud et de l'IA, pour constituer l’infrastructure numérique des usines intelligentes
- Les solutions de cybersécurité, essentielles à la résilience opérationnelle et à la protection des données dans un environnement de plus en plus connecté.
Europe : L'autonomie stratégique en marche
On observe le même phénomène en Europe. La forte dépendance du continent à l'égard de partenaires extérieurs - notamment pour l'énergie, les matières premières et les semi-conducteurs - a révélé des vulnérabilités critiques dans ses chaînes d'approvisionnement. En réponse, l'Union européenne a lancé une série d'initiatives stratégiques visant à renforcer sa souveraineté industrielle et technologique.
Des programmes tels que RePowerEU, l’European Chips Act et InvestEU ont pour objectif de réduire la dépendance à l'égard de l'étranger, de stimuler les capacités de production nationales et de soutenir l'innovation dans les secteurs clés. Ces efforts marquent le début d'un cycle d'investissement de long terme axé sur la transition énergétique, les infrastructures numériques et les matériaux stratégiques, jetant les bases d'une industrie européenne plus résiliente et tournée vers l’avenir.
En définitive, ce virage stratégique de l'Europe s'aligne sur les grandes thématiques d'innovation industrielle évoquées plus haut - la robotique et l’automatisation, les usines intelligentes, les technologies du cloud et de l'IA, et la cybersécurité - créant un front unifié dans la course au leadership technologique et à la résilience des chaînes d'approvisionnement.
[1] Source : USA Today, analyse des rapports publiés par la National Highway Traffic Safety Administration. Pour tous les modèles assemblés et disponibles à la vente aux États-Unis, 47 % des pièces (en valeur) provenaient des États-Unis ou du Canada.
[2] Source : Capgemini Research Institute, The resurgence of manufacturing, Reindustrialization strategies in Europe and the US - 2025.
[3] Source : Estimation de la Maison Blanche, avril 2025
[4] Source : Statista, avril 2025