Malgré la montée des tensions, la croissance mondiale a bien résisté en début d’année et l’inflation a continué de se normaliser. En bousculant l’ordre économique établi au lendemain de la seconde guerre mondiale, en utilisant l’arme commerciale y compris à l’encontre de ses Alliés de longue date, en changeant constamment de cap et en fragilisant la confiance des ménages comme des entreprises, la politique économique de D. Trump pourrait toutefois finir par peser sensiblement sur l’activité économique.
Chine : entre trop plein d’épargne et guerre commerciale
Alors que la croissance est restée solide en début d’année, les enquêtes PMI laissent attendre un ralentissement aussi bien dans l’industrie manufacturière que dans le secteur des services. Le chômage des jeunes – des plus diplômés en particulier – est toujours élevé et la confiance des ménages déprimée : interrogés sur l’usage de leur revenu, six ménages sur dix déclarent préférer épargner plutôt que consommer ou investir dans l’immobilier, une proportion en nette hausse par rapport à la décennie précédente [1]. Les pressions déflationnistes sont ainsi loin d’avoir disparu. Le secteur immobilier, encore marqué par les excès de construction des années passées, peine à se redresser tandis que les surcapacités accumulées dans la plupart des secteurs industriels freinent l’investissement des entreprises. La croissance chinoise repose donc encore largement sur le dynamisme de son commerce extérieur.
Dans un contexte de montée des tensions commerciales, cette dépendance aux exportations devient problématique. La Chine s’efforce certes d’éviter les droits de douane américains en exportant à partir de pays tiers tout en renforçant sa présence sur d’autres marchés étrangers. Mais cette stratégie se heurte de plus en plus à la résistance de partenaires commerciaux, eux-mêmes confrontés au protectionnisme américain et aux pressions de l’Administration Trump pour qu’ils restreignent leurs échanges avec la Chine. La trêve commerciale de 90 jours conclue avec les Etats-Unis constitue bien sûr un répit bienvenu. Sauf revirement de la politique commerciale de Washington, Pékin va toutefois, au cours des prochains mois, devoir renforcer ses mesures de soutien à la consommation si elle veut se rapprocher de son objectif de 5% de croissance pour 2025. Au-delà, la question est de savoir si, plutôt que de recourir à des mesures de soutien purement conjoncturel, la Chine est prête à engager une réforme plus structurelle de son modèle social : le développement de systèmes de santé ou de retraite plus généreux permettrait de réduire l’épargne de précaution. Un tel choix, s’il était fait, marquerait une inflexion majeure dans la stratégie économique de Pékin. Il signalerait la volonté de faire évoluer le modèle chinois vers une croissance plus autonome, moins dépendante de la demande extérieure… et plus résiliente face aux chocs géopolitiques !
Etats-Unis : une croissance encore robuste… jusqu’à quand ?
En début d’année, l’économie américaine a continué d’être portée par une demande intérieure dynamique. Les créations d’emplois restent soutenues mais ralentissent un peu : alors qu’elles dépassaient 200 000 par mois fin 2024, elles sont inférieures à 150 000 depuis le début de l’année [2]. Le retournement des indicateurs d’enquête laisse toutefois penser que la croissance pourrait s’essouffler dans la seconde partie de l’année : la confiance des ménages s’érode, les intentions d’investissement des entreprises sont nettement moins favorables qu’il y a quelques mois et les commandes à l’exportation chutent. Evaluer l’ampleur du ralentissement à venir est toutefois délicat. L’incertitude entourant la politique économique américaine a rarement été aussi élevée : l’Administration Trump parviendra-t-elle à conclure des accords commerciaux avec ses principaux partenaires d’ici le 9 juillet ? A quel niveau se stabiliseront finalement les droits de douane ? Que contiendra la « Grande et belle loi budgétaire » ?
Nos prévisions d’un ralentissement marqué de l’activité – un peu en deçà de 1 % en 2026 – reposent sur l’hypothèse de droits de douane qui se stabiliseraient à un niveau légèrement plus élevé qu’aujourd’hui – autour de 15 % –, mais qui seraient nettement inférieurs à ceux du « Liberation Day ». Elles reposent aussi sur un Budget qui stimulerait un peu l’activité, à hauteur de 0,3 point de PIB en 2026, mais nettement moins que ne l’implique la dégradation de l’équilibre budgétaire : les coupes envisagées dans les grands programmes sociaux toucheront surtout les ménages les plus pauvres, tandis que les baisses d’impôts seront en partie épargnées. Faute de visibilité sur la trajectoire économique comme sur celle des prix, la Réserve fédérale a toutes raisons de rester patiente au cours des prochains mois : elle ne devrait reprendre son cycle de baisse des taux qu’en fin d’année, lorsque le ralentissement de l’activité sera clairement établi.
A plus long terme, la politique menée par l’Administration Trump engage l’économie sur une pente glissante. D’abord, le déficit de l’Etat fédéral devrait au mieux rester proche de 6,5 % du PIB : les Etats-Unis aborderont la prochaine récession avec des marges de manœuvre budgétaires qui auront rarement été aussi réduites. Ensuite, le durcissement de la politique migratoire va peser sur le potentiel de croissance. Enfin, la volonté affichée de l’Administration Trump de faire baisser le dollar est risquée : non seulement le déficit courant américain a peu de chances de se réduire – surtout si leur déficit public reste important ! – mais la politique « America First » de D. Trump va conduire d'autres grandes économies, l’Europe en particulier mais aussi la Chine, à utiliser chez elles une partie au moins de l’épargne qu’elles exportaient jusqu’ici. Cela pourrait, ce faisant, pousser durablement à la hausse la prime de terme sur les obligations du Trésor américain. En multipliant les offensives sur tous les fronts, en cherchant à imposer un rapport de force permanent, la stratégie d’agitation tous azimuts de Donald Trump a peu de chances de produire les résultats escomptés… à l’exception peut-être de la baisse du dollar !
Zone euro : au défi de l’Administration Trump…
Le premier trimestre a été marqué par un fort rebond de la croissance de la zone euro, le PIB progressant de 2,5 % en rythme annuel [3]. L’essentiel de cette performance tient toutefois à une hausse spectaculaire du PIB irlandais – +45 % sur le trimestre en rythme annuel ! –, tirée par une explosion des exportations de produits pharmaceutiques en anticipation d’une hausse des droits de douane américains. Hors Irlande, la croissance sur un an reste modeste, un peu inférieure à 1 %. La consommation peine toujours à retrouver son allant et la dégradation de la perception par les ménages de la situation économique comme des perspectives d’emploi continue de peser sur leur comportement d’achat. Avec une demande qui progresse à petits pas et une incertitude au plus haut, l’investissement des entreprises a peu de raisons d’être très dynamique. L’assouplissement monétaire engagé depuis un an pourrait toutefois favoriser un redémarrage de l’investissement résidentiel.
La trajectoire qu’empruntera la zone euro au cours des trimestres à venir dépendra largement de l’issue des négociations commerciales avec les Etats-Unis. Le contenu en valeur ajoutée des exportations de produits manufacturés de la zone euro vers les Etats-Unis atteint près de 2 points de PIB : à leur niveau actuel, les droits de douane américains retireraient 0,5 % à la croissance de la zone. L’Europe pourrait également être fragilisée si la Chine tentait d'accroître sa pénétration du marché commun. Ces chocs pourraient en partie être amortis par le plan allemand et l’effort d’investissement des pays européens dans le secteur de la défense. Le risque de voir l’activité ralentir sensiblement est toutefois réel en cas d’escalade des tensions commerciales avec les Etats-Unis. Cela conduirait alors la BCE, après une pause, à reprendre le mouvement de baisse de ses taux pour les porter à 1,5 % en fin d’année.
Même si la croissance faiblit, la politique de D. Trump aura au moins eu un mérite : en ébranlant la confiance dans le parapluie sécuritaire américain, elle a forcé l’Europe, l’Allemagne en particulier, à réagir. Longtemps portée par une énergie bon marché en provenance de Russie et une demande mondiale soutenue, notamment en provenance de Chine, l’Allemagne a négligé ses infrastructures matérielles et sociales. Ces choix, dictés par une logique de compétitivité à court terme et de rigueur budgétaire, ont révélé leurs limites : depuis 2019, le PIB allemand n’a pas progressé ! Dans ce contexte, le changement de cap opéré sous l’impulsion du Chancelier Mertz en matière de politique budgétaire, ainsi que la réaction de l’Europe avec le lancement du plan ReArm EU, doivent être salués. Mais cela ne suffira pas. Le constat dressé par Mario Draghi dans son rapport sur la compétitivité européenne est sans appel : l’Europe doit faire un effort d’investissement d’au moins 800 milliards d’euros par an (5 points de PIB) sur les prochaines années si elle veut redevenir compétitive. Il s’agit en particulier de combler son retard dans le secteur du numérique (intelligence artificielle, cybersécurité…) pour éviter un décrochage technologique durable. L’idée de financer ces biens publics européens – énergie, défense, innovation – par une émission commune de dette reste toutefois difficilement acceptable pour une partie de l’Europe, attachée à la discipline budgétaire ou à la souveraineté nationale. Le défi n’est donc pas seulement économique, il est aussi, et peut-être surtout, politique.
[1] Source: Banque Centrale de Chine
[2] Source : Bureau of Labor Statistics (BLS)
[3] Source : Eurostat