La loi du plus fort

A l’heure où nous écrivons ces lignes, le marché américain s’est approché de son niveau le plus haut historique, atteint précédemment en février 2025 et la plupart des classes d’actifs affichent des performances positives en devise locale depuis le début de l’année.[1]

La réalité des marchés financiers est-elle déconnectée de la perception des risques par les investisseurs ? De manière récurrente, les investisseurs expriment leurs doutes quant à la tendance haussière des actions alors que la réalité économique et politique leur semble présenter un niveau toujours plus élevé d’incertitudes. Cette dichotomie peut s’expliquer facilement. Les incertitudes provoquent des émotions négatives et peuvent biaiser la perception d’un investisseur alors que les marchés apparaissent plus fiables représentant les décisions de millions d’investisseurs…

Nous sommes depuis le début de l’année dans un cas de figure un peu extrême de ce point de vue. Le « contrat social » est en pleine déconstruction et la loi du plus fort semble s’imposer… L’ordre mondial politique, social, économique est de ce fait en recomposition et il nous est difficile de faire des projections sur un horizon, même court. Quel en est l’impact « rationnel » sur les marchés financiers ? Comment pouvons-nous positionner nos portefeuilles et prendre des risques mesurés ?

 

Qui sera le plus fort économiquement ?

Les perspectives économiques  sont en définitive fortement influencées par les décisions des instances dirigeantes américaines. Dans notre scénario central, nous anticipons un ralentissement de l’économie mondiale sous l’effet d’un changement substantiel du taux effectif des droits de douane américains (plus de 10 %[2]).

Les Etats-Unis ne devraient pas en sortir indemnes et leur croissance économique pourrait bien passer sous les 2 %. Une récession devrait être évitée, mais son risque pourrait augmenter sous l’effet d’autres chocs négatifs (liés aux conflits armés en cours notamment). Le choc sur le commerce international devrait se traduire en outre par des pressions inflationnistes temporairement accrues. La mission de la Fed sera d’autant plus délicate que le contexte devient « stagflationniste ». Nous anticipons ainsi une première baisse de taux en décembre et deux à trois baisses consécutives début 2026. Le soutien fiscal ne sera que marginal, loin d’être « big » ou « Beautiful » comme annoncé. Le secteur privé américain reste néanmoins sain, avec des marges bénéficiaires proches de leurs niveaux records, sans endettement excessif ni problème d’accès au financement.

En Europe, la politique commerciale des Etats-Unis représente un défi majeur et devrait continuer à peser sur l’activité, en particulier en freinant les décisions d’investissement des entreprises. L’inflation en zone euro est aujourd’hui bien maitrisée et on observe un ralentissement fort de la croissance salariale. Cet environnement permet à la BCE d’assouplir sa politique monétaire amortissant ainsi le ralentissement de l’activité. Le tournant budgétaire allemand représente également un changement clé pour l’Europe tandis que la mise en place progressive des plans d’investissement en matière de défense et d’infrastructures devrait permettre d’amortir le choc négatif lié aux droits de douane.

Enfin, en Chine les autorités mettent en œuvre des politiques économiques contracycliques pour tenter de stabiliser la croissance. Nous attendons une décélération de la croissance, un peu en dessous de l’objectif fixé à 5 % pour 2025.

Le leadership économique demeure bien un enjeu essentiel de la recomposition de l’ordre mondial en cours. Les applications de l’intelligence artificielle devraient continuer à progresser et s’étendre dans les mois à venir, permettant des gains de d’efficacité et de productivité. Entre Etats-Unis et Chine, la bataille pour être le plus fort est bien engagée sur le moyen terme.

 

Les Etats-Unis préserveront-ils leur exceptionnalisme sur les marchés financiers ?

En janvier 2025, les sondages auprès des investisseurs faisaient état d’un large consensus positif en faveur du marché actions américain, du secteur technologique américain et du dollar.

La soudaine remise en question de ce statut « exceptionnel » américain est une surprise. Elle a provoqué un réveil des investisseurs hors Etats-Unis qui cherchent à diversifier leurs investissements. Les investisseurs commencent à diversifier leurs allocations, alors que les portefeuilles restent encore très concentrés sur les actions américaines. La diversification géographique, sectorielle et factorielle peut offrir désormais une meilleure couverture des risques, sans sacrifier la performance.

l’exceptionnalisme américain, n’est pas une bulle dans le sens où il est soutenu par une croissance supérieure des bénéfices de ses entreprises. Après la grande crise financière de 2008, les Etats-Unis se sont redressés beaucoup plus vite que le reste du monde en mettant en place des politiques monétaires et budgétaires adaptées. La très forte croissance du secteur technologique et l’appréciation du dollar américain ont créé un cercle vertueux pour les investisseurs locaux et internationaux pour lesquels la diversification perdait de son intérêt, ce qui a entraîné l’extrême concentration actuelle des marchés actions.

L’évolution des flux financiers et la recherche de diversification dans les mois à venir dépendront avant tout de la capacité des Etats-Unis à maintenir leur attractivité relative. Attractivité des « megacap » et de leur leadership technologique, attractivité des obligations gouvernementales et surtout stabilisation du dollar, le risque de change représentant un élément clé dans une allocation internationale.

Depuis le début de l’année, le dollar américain a chuté de plus de 10  %, enregistrant l’une de ses pires performances historiques. Cette tendance devrait se poursuivre au second semestre 2025. Le ralentissement économique américain et les baisses de taux attendues de la Réserve fédérale devraient contribuer à l’affaiblissement relatif du dollar, tandis que le creusement du déficit budgétaire mine la confiance dans la soutenabilité des finances publiques. Parallèlement, les banques centrales internationales poursuivent la diversification de leurs réserves, réduisant leur exposition au dollar.

 

Quelle allocation favoriser au cours du second semestre ?

Actions : viser la croissance dans un monde sans élan

Dans cet environnement, nous adoptons un positionnement neutre et bien diversifié sur les actions. Nous évitons les biais régionaux et privilégions une diversification par secteurs et styles, avec un accent sur les secteurs et valeurs affichant une forte dynamique bénéficiaire, comme la technologie, ainsi que sur les secteurs soutenus par les politiques budgétaires, tels que les infrastructures, l’industrie et la défense en Europe. L’absence de catalyseurs nets pour une revalorisation plus globale des marchés nous conduit à maintenir une approche équilibrée.

Les actions américaines nous semblent aujourd’hui bien valorisées, les marchés intégrant un scénario favorable sur la politique commerciale et budgétaire, ce qui limite leur potentiel de hausse et peut accroître le risque de déception. Les prévisions actuelles du consensus tablent sur une croissance des bénéfices de 9 à 10 %, alors que les fondamentaux (commandes, croissance du PIB) suggèrent plutôt un chiffre proche de 5 %. Dans ce contexte, nous restons sélectifs, avec une préférence pour les valeurs technologiques, portées par la croissance structurelle liée à l’intelligence artificielle. Malgré les incertitudes politiques, les entreprises américaines ont fait preuve de résilience, avec une croissance des bénéfices de 12 % avant le « Liberation Day » et des perspectives qui demeurent supérieures aux attentes du consensus. Toutefois, dans un environnement de croissance molle et de taux durablement élevés, le scénario de marché pourrait ressembler à celui de 2023-2024 : concentration excessive des performances sur un petit nombre de titres.

La sous-exposition structurelle des portefeuilles mondiaux hors États-Unis, combinée à un affaiblissement progressif du dollar, rend les marchés internationaux attractifs. Contrairement à l’idée selon laquelle la rotation vers les actions internationales serait déjà largement jouée, les données montrent qu’elle n’a en réalité pas encore vraiment commencé.

La zone euro se trouve à un tournant, confrontée à un arbitrage entre des dépenses supérieures indispensables dans les secteurs de la défense et des infrastructures et une réponse à la pression des droits de douane américains. Malgré ces tensions commerciales, les entreprises européennes bénéficient des réponses budgétaires plus actives et de valorisations plus attractives, ce qui a contribué à leur performance récente. Après le rebond, les valorisations de certains secteurs domestiques (banques, utilities) semblent en ligne avec leur moyenne historique. La hausse de l’euro pourrait par ailleurs peser sur les bénéfices.

Sur les marchés émergents, l’évolution du dollar américain est un élément clé. Les valorisations nous semblent attractives, avec un ratio cours/bénéfice (P/E) prévisionnel de 12x les bénéfices, contre 19x[3] pour les marchés développés, tandis que le positionnement global des investisseurs, en particulier en Chine, demeure faible. L’apaisement des incertitudes commerciales entre les États-Unis et la Chine est un facteur positif tout comme la volonté renouvelée de la Chine de soutenir l’économie privée, avec un potentiel de nouvelles mesures de relance. Pour autant, l’activité intérieure en Chine est atone depuis longtemps et les investisseurs restent globalement prudents. Toute amélioration du côté de la consommation serait donc une bonne surprise. Nous restons positifs sur la technologie chinoise, considérant la récente faiblesse comme une opportunité d’augmenter les investissements, avec une probabilité d’élargissement de la participation au marché chinois.

 

Obligations : positionnement défensif avec des poches de portage sélectif

Nous conservons une position longue sur la duration en zone euro et restons neutres sur les bons du trésor américains. Dans un portefeuille diversifié, la duration continue d’offrir une protection efficace, en particulier dans un environnement de ralentissement économique et d’inflation modérée. En Europe, la Banque centrale européenne nous semble proche de la fin de son cycle d’assouplissement, même si deux baisses de taux supplémentaires sont encore anticipées d’ici la fin de l’année. Cette dynamique, combinée à un environnement macroéconomique toujours atone et à une inflation bien ancrée, soutient notre opinion constructive sur la dette souveraine européenne.

Aux États-Unis, notre positionnement sur les taux reste neutre dans l’attente d’un point d’entrée plus attractif. Nous anticipons une légère baisse des rendements au second semestre 2025, portée par un affaiblissement progressif de l’activité économique et les baisses de taux attendues de la part de la Réserve fédérale. La trajectoire de l’inflation devrait rester irrégulière, les pressions haussières liées aux droits de douane et à la politique budgétaire expansive étant compensées par un contexte macroéconomique plus faible.

Sur le segment du crédit, nous réaffirmons notre préférence pour les obligations Investment Grade avec un biais favorable au crédit européen qui bénéficie de fondamentaux solides et d’une meilleure résistance en environnement incertain. En revanche, nous restons plus prudents globalement sur le High Yield.

La dette émergente suscite un regain d’intérêt portée par des rendements réels positifs, la baisse du dollar et la désescalade dans la guerre commerciale. Ces éléments contribuent à améliorer l’attractivité relative des actifs émergents, malgré un positionnement encore modeste des investisseurs.

 

L’or et l’alternatif en soutien des portefeuilles

L’or conserve un rôle stratégique dans les portefeuilles, agissant comme une couverture efficace face aux incertitudes géopolitiques, à la volatilité des taux réels et aux risques macroéconomiques extrêmes. Malgré des rendements nominaux élevés, la demande reste soutenue, portée par les achats persistants des banques centrales, la reconstitution des réserves internationales et un regain d’intérêt des investisseurs particuliers et via les ETF.

Compte tenu de la volatilité persistante et des risques asymétriques sur les marchés, nous conservons une allocation aux stratégies alternatives liquides. Ces approches offrent une stabilisation des portefeuilles et complètent les expositions plus traditionnelles et directionnelles, en apportant des rendements décorrélés. 

 

Composer avec l'incertitude, investir avec discernement

Dans un environnement en pleine mutation, marqué par des dynamiques économiques, géopolitiques et technologiques, la loi du plus fort semble s'imposer non seulement dans les relations internationales, mais aussi dans les équilibres de marché. Les investisseurs devront plus que jamais concilier agilité et sélectivité dans la gestion de leurs portefeuilles.

 

[1] Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
[2] Données Candriam au 25/06/2025
[3] Source: Bloomberg

Ralentissement à l’horizon…

Découvrez notre analyse macroéconomique dans l’article Mid-Year Outlook.

Malgré la montée des tensions, la croissance mondiale a bien résisté en début d’année et l’inflation a continué de se normaliser.

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