Doit-on couper les ailes aux GAFA ?

Nul besoin de présenter les GAFA  (appelés « FANG [1] »  plus récemment aux Etats-Unis). Vous faites probablement partie des milliards de personnes qui utilisent Google Maps©, Instagram©, Netflix© ou Amazon© de manière quotidienne, voire à chaque instant ? Ou peut-être avez-vous investi dans l’une de ces sociétés? Sans exception aucune, ces titres ont affiché les meilleures performances boursières au cours de ces dix dernières années, essentiellement grâce à la forte croissance de leurs revenus et à leurs perspectives attrayantes en matière de profitabilité.



La plupart de ces entreprises ont eu un énorme impact sur la société et sur notre quotidien au cours des dix dernières années. Grâce à elles, nous nous sentons plus proches et connectés à qui nous souhaitons. Simplement depuis notre fauteuil, nous pouvons commander presque tout dans le monde entier, à des prix très compétitifs.

Plus de connexion, moins de confidentialité

Ce petit appareil appelé smartphone est devenu notre fenêtre sur le monde. Si cette évolution est généralement perçue comme un enrichissement de notre qualité de vie (certains parleraient de « consumérisme de confort »), nous ne pouvons ignorer certains effets indésirables, notamment le plus important : le manque de confidentialité. Vous pouvez être certains que le fait de rechercher une destination de séjour pour les vacances de Noël sur internet entraînera une avalanche de publicités ciblées liées à de possibles destinations sur vos appareils connectés à internet. Ce n’est certainement pas exactement ce qui vous souhaitiez de manière délibérée…

Bien plus grave : le cas (bien documenté) Facebook-Cambridge Analytica. En  2018, Cambridge Analytica a collecté les données personnelles de millions d’utilisateurs de Facebook sans leur consentement, en les utilisant à des fins de publicité politique. Bien évidemment, des entreprises comme Alphabet (Google) et Facebook se sont retrouvées sous pression, suscitant un vif débat sur la collecte et l’utilisation des données personnelles. Les régulateurs dans le monde entier ont commencé à examiner minutieusement les entreprises qui collectent des données personnelles et les utilisent sans consentement explicite.

L’Europe s’est tenue en première ligne en réagissant de manière appropriée à cette problématique de confidentialité. Le RGPD (Règlement général sur la protection des données) est un règlement européen sur la protection et la confidentialité des données s’appliquant à tous les citoyens individuels de l’Union européenne et de l’Espace économique européen. Les organisations qui ne respectent pas ce règlement risquent désormais de lourdes amendes.

Est-ce suffisant pour mettre en danger l’hégémonie et la compétitivité du « méga-quatuor » en 2020? Nous ne le pensons pas.

Utilisation abusive mais consentie des données?

Premièrement, même avec les scandales sur la confidentialité des données, les gens ne semblent pas avoir l’intention de  changer leurs habitudes. Soyons réalistes: combien parmi nous sont-ils conscients de leur profil  Google ou  Facebook  et le changent-ils explicitement pour maintenir leur propres données confidentielles? La plupart du temps, nous cliquons simplement sur « accepter », sans même connaître en détail ce que nous acceptons.

Deuxièmement, si nous sommes complètement d’accord sur le fait que les gens doivent avoir l’entière maîtrise de dire si et comment leurs données peuvent être utilisées et si nous avons la profonde conviction que cette autorisation doit être règlementée et contrôlée par les instances gouvernementales, nous ne croyons pas que de nombreux utilisateurs de GAFA pourraient tolérer les conséquences d’un blocage de l’accès à leurs données personnelles.

Si nous pouvons utiliser Google Maps ou Instagram gratuitement, c’est grâce à la publicité en ligne qui finance ces applis. Cette publicité en ligne est essentiellement basée sur ce que ces applis savent sur leurs utilisateurs. Si les utilisateurs ne laissent pas ces applis collecter et utiliser (tout ou partie de) leurs données, ils seront bientôt amenés à payer pour ce service. Pas sûr que tout le monde soit prêt à payer pour de telles applications ou à renoncer aux services qu’elles offrent en utilisant les données : par exemple, Amazon qui propose à ses utilisateurs des livres hautement susceptibles de leur plaire, sur la base de leur historique d’achat et sur l’historique d’achat d’autres clients ayant un profil comparable. Il en va de même pour Netflix, Youtube©, Pinterest©

Pratiques discutables

En dehors de la règlementation sur la confidentialité et l’utilisation des données, la plupart des géants de l’internet sont sur la sellette en raison de leurs pratiques concurrentielles.

Les pratiques concurrentielles de Facebook©font l’objet d’une enquête de la part du Congrès américain, du département américain de la Justice, de la FTC et des procureurs généraux de 47 Etats américains. Google est au centre d’une enquête antitrust du département américain de la Justice, de la commission judiciaire de la Chambre de représentants et de procureurs généraux d’une douzaine d’Etats américains.  Google et Facebook font également l’objet d’une enquête antitrust de l’Union européenne.

Ces enquêtes  sont très complexes et prendront certainement beaucoup de temps. Les géants de l’internet se défendront en déclarant que la concurrence est très intense et qu’elle s’intensifie à un rythme accéléré, en expliquant pourquoi.  Ils évoqueront bien entendu la concurrence entre eux, mais pas seulement.

Prenons l’exemple de Google Search, le moteur de recherche le plus utilisé sur le Web: 54% des recherches de produits  (qui, certes, ne représentent qu’une faible partie de l’ensemble du marché  des recherches) sont désormais effectuées sur Amazon. Dans le sens inverse: les clients peuvent acheter des biens directement depuis leur compte Instagram (Facebook) ou directement sur YouTube (Google). Amazon, Facebook et Google offrent tous des modes de paiement concurrents.

La plus grande menace peut venir de l’étranger. Dans les domaines de la technologie vocale, de la conduite autonome, du commerce en ligne et des systèmes de paiement, les géants de l’internet chinois tels que  Tencent©, Alibaba© ou Baidu©ont désormais rattrapé le retard technologique, en faisant d’immenses progrès en IA (Intelligence Artificielle) et ML (Machine Learning, ou auto-apprentissage de l’ordinateur). Ils commencent à concurrencer les magnats de l’internet sur leur propre terrain... et sans les mêmes contraintes sur l’usage des données personnelles, un décalage qui pourrait finalement aboutir à  un désavantage concurrentiel majeur face à la Chine.

Les régulateurs vont continuer à examiner de près les GAFA. Dans la mesure où cela concerne la protection et la bonne utilisation des données personnelles, cela semble approprié. Et les GAFA sont tout à fait capables d’adapter leurs pratiques – Alphabet consacrant 20% de ses immenses ressources à la R&D (soit 21,4 milliards de dollars en 2018 !) – sans trop de conséquences importantes pour leur modèle d’affaires à long terme.

En ce qui concerne les enquêtes sur les pratiques concurrentielles, le régulateur pourrait décider d’imposer de lourdes amendes ou forcer les entreprises à se scinder en différents pôles d’activité. Cela aurait certainement des répercussions sur les perspectives à long terme des entreprises concernées. Toutefois, étant donné la nature complexe de ces enquêtes,  nous ne devrions pas connaître de perturbation majeure en 2020.

 

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[1] L’acronyme américain pour Facebook, Amazon, Netflix, Google. L’acronyme GAFA fait quant à lui référence à Google, Amazon, Facebook et Apple.

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