En route vers Solvabilité II … durable

Solvabilité II a désormais deux objectifs officiels :

  • encourager les investissements de capitaux à long terme dans l'économie par les compagnies d'assurance
  • et soutenir le Green Deal.[1]

Bien que ces objectifs soient tout à fait louables, il existe des obstacles méthodologiques. Les objectifs initiaux de Solvabilité II étaient l'harmonisation, la stabilité financière et la protection des assurés. Le texte avait donc été conçu comme une réglementation basée sur le risque, fondée sur l'évaluation du bilan en mark-to-market[2] et sur des exigences de fonds propres calibrées sur une Value at Risk (VaR)[3] avec un niveau de confiance de 99,5 %. Avec cette approche, l'investissement en capital, y compris dans l'énergie et les technologies propres, peut être moins attractif que les obligations souveraines et les obligations d'entreprises de haute qualité. De même, les risques émergents tels que le risque climatique, qui se développent sur de longues périodes, sont difficiles à calibrer et ne s'intègrent pas bien dans un tel cadre.

La révision actuelle de Solvabilité II tente d'aborder ces points par le biais de modifications techniques visant à stabiliser les bilans prudentiels, à fournir un allègement ciblé du capital pour faciliter certains investissements et à renforcer l'accent mis sur les risques ESG, en particulier les risques climatiques. Nous abordons ici les sujets ayant l'impact le plus direct sur la gestion des investissements et n'examinons pas d'autres aspects importants, tels que les mesures de proportionnalité, le calcul de la marge de risque ou les mesures transitoires. Nous ne nous attarderons pas non plus sur l'importance accrue du risque de liquidité dans le règlement, car cela nous semble conforme à la pratique actuelle en France.

 

Où en est le réexamen de la directive Solvabilité ?

Le Conseil de l'Europe et le Parlement se sont mis d'accord sur une version révisée commune de Solvabilité II qui inclut les changements ci-dessous. Elle devrait probablement entrer en vigueur le 1er janvier 2026.

Changements dans l'évaluation des passifs

Les changements les plus importants pour la gestion des investissements concernent la courbe d'actualisation du passif, appelée courbe des taux d'intérêt sans risque. Cette courbe a deux composantes principales : la courbe de base (c'est-à-dire la courbe des taux de swap par rapport au taux d'intérêt au jour le jour) majorée de l‘ajustement pour volatilité (une fraction du spread observé sur les marchés et corrigé du coût de défaut).

La courbe de base est extrapolée à partir de l'année 20. La méthode d'extrapolation est modifiée pour inclure des informations sur la courbe des taux d'intérêt au-delà de l'échéance de 20 ans. Cela rendra les engagements à long terme plus sensibles aux taux de marché et les couvertures à long terme plus efficaces sur le plan financier.

L'ajustement pour volatilité pourrait inclure une fraction plus importante de spreads obligataires et l'application de l'ajustement dépendra davantage de l'allocation obligataire réelle de l'assureur. Cela permettrait une plus grande flexibilité dans la conception du portefeuille d'investissement et une meilleure adéquation actif/ passif.

Modifications des exigences de fonds propres pour le risque de marché

Le capital de solvabilité requis (SCR) pour le risque de taux d'intérêt devrait être recalibré pour matérialiser les risques de baisse des taux d'intérêt, même lorsque ceux-ci sont déjà bas. Dans le contexte actuel de taux nettement plus élevés par rapport aux 10 dernières années, l'impact de ce changement est faible, mais les assureurs pourraient envisager une couverture plus systématique du risque de taux d'intérêt.

Le module relatif aux actions long terme, qui permet à certaines participations de bénéficier d'une exigence de capital moindre, devrait être soumis à des conditions moins restrictives. Le champ d'application est étendu aux actions de l'EEE ou de l'OCDE et la période de détention cible est de cinq ans, une durée qui peut être appréciée au niveau du fonds pour certains véhicules, y compris les ELTIF. Elle devrait faciliter les investissements des assureurs dans des actions diversifiées.

D'autres changements pourraient avoir un impact beaucoup moins important.

  • L'ajustement symétrique pour le risque actions, également appelé "equity dampener", est actuellement limité par un intervalle de + ou -10 %, qu'il est proposé d'étendre à + ou - 13 %. Dans le passé, le frein a été activé lors de la bulle Internet et de la crise financière mondiale. Depuis lors, seule la limite inférieure a été activée, c'était pendant la crise Covid.
  • Le risque de spread pour les expositions de titrisation pourrait également être plus granulaire et intégrer des notions de séniorité.

La plupart des mesures ayant un impact négatif sur le ratio de solvabilité des assureurs, elles feront l'objet de périodes transitoires de 5 ans.

Outre la liste non exhaustive ci-dessus, l'importance de la durabilité dans la réglementation s'accroît, et des exigences de fonds propres spécifiques pourraient être déterminées pour les risques liés à la durabilité. L'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) a également été invitée à étudier ce sujet, à déterminer quels risques sont les plus importants d'un point de vue prudentiel et comment les exigences en matière de capital pourraient être calibrées. L'EIOPA a ouvert une consultation sur le sujet jusqu'au 22 mars 2024.

 

Risques liés au développement durable

Plus précisément, l'EIOPA analyse le lien potentiel entre les risques prudentiels de marché en termes d'actions, de spreads et de risques immobiliers et les risques de transition. Nous n'examinerons pas les deux autres domaines d’évaluation, à savoir le lien potentiel entre les risques de souscription en assurance IARD et les mesures de prévention des risques liés au climat, et le lien potentiel entre les risques sociaux et les risques prudentiels, y compris les risques de marché et de souscription.

La première conclusion est que l'analyse n'est pas facile : peu de données sont disponibles et seulement depuis une période très récente. Par ailleurs, la durabilité n'est pas le seul facteur de risque financier. Toutefois, l'EIOPA a constaté que les obligations et les actions liées aux combustibles fossiles présentent un risque plus élevé que celles exposées à d'autres activités, ce qui justifie un traitement prudentiel spécifique. En revanche, l'EIOPA n'a pas pu conclure à l'effet du niveau d'efficacité énergétique d'un bâtiment sur le risque immobilier.

Outre l'option du statu quo, les approches retenues par l'EIOPA pour intégrer la durabilité consisteraient à augmenter l'exigence de fonds propres sur la base du code NACE de l'émetteur du titre :

  • Pour les actions, soit l'utilisation d'une charge en capital de type 2 au lieu d'une charge en capital de type 1 (SCR supérieur de +10 %), soit l'application d'un supplément de +17 % sur les actions concernées. L'impact sur les ratios de solvabilité d’une hausse de 17 % pour les actions du secteur des combustibles fossiles serait le suivant :

  • Pour les obligations, deux méthodes sont également étudiées :

L'EIOPA est très transparente dans ses recherches et décrit en langage clair les principaux obstacles auxquels la plupart des investisseurs sont confrontés : le manque de données et la difficulté d'adopter une approche unique pour tous les investissements. Si l'augmentation des charges de capital pour les entreprises les plus exposées au changement climatique pourrait selon nous, être compensée par une réduction des exigences de capital pour les fournisseurs de solutions, comme par exemple les obligations vertes, nous sommes convaincus que la mise en œuvre de ces charges de capital ne remplacera pas la nécessité d'analyser de façon approfondie les business plans et les plans de transition de chaque émetteur.

 

 


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[1] Le pacte vert pour l'Europe — en anglais, European Green Deal — est un ensemble d'initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l'Europe climatiquement neutre en 2050.
[2] Le mark-to-market consiste à évaluer régulièrement, voire en permanence, une Position sur la base de sa Valeur observée sur le Marché au moment de l'évaluation. Ainsi, tout l’actif doit être valorisé avec le montant pouvant être réalisé sur le marché et tout le passif doit être valorisé avec la valeur de rachat demandée sur le marché.
[3] La VaR est une notion utilisée généralement pour mesurer le risque de marché d'un portefeuille d'instruments financiers. Elle correspond au montant de pertes qui ne devrait être dépassé qu'avec une probabilité donnée sur un horizon temporel donné.

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