Le mois de mai a été mitigé pour les investisseurs obligataires, avec des divergences marquées des deux côtés de l'Atlantique. Tandis que le 10 ans américain chutait de 18 points de base, les taux européens ont rebondi et le 10 ans allemand a progressé de 8 points de base. De fait, l’économie européenne connaît de plus en plus de surprises à la hausse par rapport à son homologue américaine. Aux États-Unis, un certain nombre d'indicateurs ont souligné le ralentissement de l’économie : malgré la bonne résistance de la consommation, les PMI et les chiffres du marché immobilier se sont avérés décevants. En revanche, les PMI de la zone euro ont confirmé le redressement de l'activité économique.
Le crédit aux entreprises s'est également bien comporté, reflétant l'évolution positive des marchés boursiers. Les spreads du crédit Investment Grade en euro ont peu varié (resserrement de 5 points de base), mais le segment High Yield en euro a enregistré un resserrement plus significatif (20 points de base).
La dette émergente a également généré de bonnes performances malgré les résultats des élections au Mexique, en Afrique du Sud et en Inde, qui comportent à divers égards des défis de taille. Le segment a fourni des performances globales solides sur fond de stabilité des spreads, ce qui démontre à quel point le portage constitue un moteur de rendement important dans un environnement de taux plus élevés.
Nous avons assisté aux premières baisses de taux de ce cycle dans les économies du G7, la zone euro suivant le Canada de quelques jours. Ces mesures étaient anticipées et tous les regards sont déjà tournés vers la suite, le positionnement de la Fed suscitant une attention particulière.
Taux américains : messages contradictoires de la Fed
Impliquant seulement une baisse de taux cette année, la nouvelle trajectoire en pointillés annoncée par la Fed s’est avérée plus ferme – la baisse surprise de l’IPC avait envoyé aux marchés un signal opposé le matin même. Mais Jerome Powell a laissé entendre que la plupart des gouverneurs n’avaient pas tenu compte des dernières données, insistant sur le fait que la Fed était désormais « dépendante des données ». Cette déclaration a incité les marchés à ignorer le ton agressif de la banque centrale et à se montrer, en fin de journée, plus optimistes sur le nombre de baisses de taux à venir.
La question de l'ampleur de l’assouplissement monétaire est désormais étroitement liée à son calendrier. Si la baisse surprise de l'IPC observée en mai se confirme dans les quatre mois qui viennent, cela pourrait justifier une première baisse des taux de la Fed en septembre, suivie d’une seconde en décembre.
Quant à l'inflation « super-core », elle a de nouveau chuté en mai, tout en demeurant sensiblement plus élevée qu'à la fin de l'année dernière. Mais selon nous, c’est bien le marché du travail qui suggère une poursuite de la désinflation, après une pause de plusieurs mois. Jusqu'à présent, cette désinflation a été alimentée par les produits de base, les services essentiels et le logement peinant à suivre la même tendance. Or le recul du taux de démissions, suggérant une nouvelle décélération de la croissance des salaires vers le niveau de 3,5 % (compatible avec l'objectif d'inflation de 2 % visé par la Fed à moyen terme) dans les prochains mois, devrait entraîner une poursuite de la désinflation dans les services essentiels. Nous anticipons en outre une accalmie sur le marché du logement. La hausse des loyers liés aux nouveaux baux, un indicateur avancé du loyer équivalent de la résidence principale pour les propriétaires, est proche de zéro. S’il est compréhensible que la Fed ne veuille pas lâcher la bride aux marchés et privilégie la prudence, la trajectoire économique qui se dessine semble de nature à justifier une baisse des taux en septembre.
La première baisse des taux de la BCE était acquise – et ensuite ?
Comme elle l'avait annoncé depuis des mois, la BCE a procédé à sa première baisse de taux en cinq ans. Tout autre résultat aurait constitué une surprise majeure. En termes de positionnement, Christine Lagarde a souligné la « dépendance aux données » et évité de s’engager sur une trajectoire précise. Les hypothèses d'inflation et de croissance pour 2024 et 2025 ont également été revues à la hausse, même si les prévisions d'inflation restent inférieures au niveau affiché en décembre 2023. Alors que les marchés hésitent entre une et deux baisses de taux supplémentaires cette année, nous penchons pour la seconde hypothèse. Selon nous, la tendance désinflationniste est toujours à l'œuvre. Par conséquent, nous continuons à surpondérer les obligations en euro et prendrons des profits en cas de nouvelle baisse des taux.
Les élections européennes n’ont pas bouleversé la donne et la composition du Parlement européen ne sera pas fondamentalement modifiée. Cependant, la décision du président Macron de convoquer des élections anticipées en France en réaction aux faibles résultats de son parti a entraîné un élargissement du spread OAT-Bund plus important que celui observé après la récente dégradation de la note du pays par S&P. L'incertitude qui entoure le résultat de ces élections législatives et les éventuelles difficultés à former un gouvernement par la suite nous confortent dans notre sous-pondération de la France.
En revanche, les élections au Parlement belge, qui se sont déroulées simultanément, ont abouti à un résultat qui devrait permettre la formation rapide d'un gouvernement soucieux de prudence budgétaire. C'est pourquoi nous avons renoncé à sous-pondérer la Belgique.
Parallèlement à notre surpondération de longue date de l'Autriche, nous apprécions les titres d’agences et les émetteurs souverains et supranationaux (y compris l'Union européenne), qui conservent un solide potentiel en raison de leur éligibilité aux indices souverains et d’une meilleure liquidité. Ils possèdent ainsi une marge de performance par rapport à la France. Nous avons pris des bénéfices sur les émetteurs d’Europe du Nord. Ils se sont bien comportés et la liquidité restreinte de ces petits émetteurs nous a incités à saisir l’occasion de fermer notre position.
Crédit en euro : les spreads restent serrés ; fondamentaux solides
Les spreads de crédit Investment Grade ayant relativement peu varié, nous conservons une position neutre. Les entreprises européennes ont entamé la saison des résultats sur une note solide, les déceptions étant minoritaires par rapport aux surprises positives. Cette situation, combinée à un contexte macroéconomique et monétaire favorable, nous conforte dans le maintien de notre position neutre, malgré des primes de risque relativement faibles par rapport aux normes historiques.
Nous avons observé un mouvement plus important sur le crédit High Yield. Dans une certaine mesure, ce mouvement s’explique par des rumeurs de restructuration concernant certains poids lourds de l'indice. Mais au vu des niveaux actuels et de la part relativement importante des émetteurs français sur le marché, nous préférons adopter une position plus prudente. Nous conservons une préférence – toutefois moins marquée qu'auparavant – pour le segment High Yield en euro par rapport à son homologue en dollar. La qualité demeure plus élevée dans l'univers en euro, mais les rendements des obligations en dollar couvertes en euro se sont rapprochés de ceux des titres directement libellés dans la monnaie unique. Compte tenu de valorisations attrayantes et d’un contexte favorable pour les actions, nous sommes en outre plus positifs sur les obligations convertibles.
Dans l’attente des élections anticipées, nous surveillons de près les valeurs françaises, en particulier les banques et les acteurs étroitement liés à l'État – la sélection « bottom-up » des émetteurs prend ici toute son importance.
Calendrier électoral chargé sur les marchés émergents
Le mois de mai a été marqué par des élections dans trois des pays émergents les plus importants (aux plans démographique et économique). Au Mexique, la victoire plus large qu’attendu de Claudia Scheinbaum – alliée du président sortant « AMLO » (qui ne pouvait se représenter) – a suscité la nervosité des marchés, car son gouvernement est susceptible d’engager des réformes judiciaires défavorables aux investisseurs. En Afrique du Sud, l'ANC n'est pas parvenue à obtenir une majorité absolue, ce qui pourrait ouvrir la voie à une coalition avec l'extrême gauche. En Inde, le BJP du Premier ministre Modi a remporté les élections comme prévu, mais avec une majorité plus faible qu’espéré. Dans le sillage de la forte progression des obligations en dollar, les émissions investment grade sensibles à l’évolution des bons du Trésor ont surperformé.
Opportunités sur les devises émergentes ; politiques monétaires et macroéconomiques des pays développés largement intégrées
Nous sommes revenus à une position neutre sur les devises des marchés développés ; cela concerne aussi bien le dollar que nos positions de valeur relative sur les paires AUD/CAD, NOK/EUR et EUR/GBP.
Nous avons pris nos bénéfices sur la position AUD/CAD après la baisse des taux canadiens, ainsi que sur notre position short EUR/NOK. Nous avons également clos notre position longue EUR/GBP après l'annonce d’élections anticipées en France. Nous avons enfin pris des bénéfices sur notre position longue HUF/PLN, car la banque centrale polonaise reste agressive tandis que les tensions entre la Hongrie et l'UE persistent.
Sur les marchés émergents, nous conservons nos positions longues sur les roupies indienne et indonésienne (INR et IDR), qui offrent un portage très attrayant, ainsi que sur la livre turque (TRY), qui pourrait bénéficier de la renormalisation de la politique économique et monétaire.
Nous conservons une position short CNY/USD, qui peut servir de couverture partielle (dotée d’un portage positif) contre une éventuelle baisse des rendements des obligations d'État chinoises, actuellement sous-pondérées.