En avril, les investisseurs attendaient avec impatience que le brouillard entourant la situation macroéconomique et l'inflation se dissipe, tout en surveillant la réaction de la Réserve fédérale. Sur fond d’indicateurs robustes, les taux américains ont à nouveau progressé, l’échéance à 10 ans gagnant environ 50 points de base. En Europe, nous avons observé des signes timides et encore fragiles d'un certain retour de la croissance. Les investisseurs ont également subi des pertes (moins sévères qu’aux États-Unis) sur les obligations d'État en euros.
Les spreads des crédits Investment Grade sont restés stables, mais d'autres actifs risqués tels que la dette émergente, la dette High Yield et les actions mondiales ont affiché une certaine faiblesse, signe d’un contexte dans lequel la politique monétaire donne le ton aux marchés. Sauf choc externe majeur, l'ampleur et le calendrier des prochaines baisses de taux semblent voués à demeurer – et de loin – le principal moteur des performances dans les semaines et les mois à venir.
La Fed face à un dilemme
Les anticipations de baisse des taux de la Fed se sont effondrées, passant de 7 baisses attendues en début d’année à une seule baisse fin avril. Quant à nous, nous n’avons jamais jugé l’hypothèse d’une seule baisse des taux réaliste : soit la Fed réduit ses taux directeurs à deux ou trois reprises, soit elle ne les abaisse pas du tout.. Les contrats à terme sur les Fed Funds suggérant plutôt deux baisses de taux début mai, nous conservons un point de vue modérément optimiste, sachant que la trajectoire en pointillés de la Fed implique toujours trois interventions.
L'inflation a cependant surpris à la hausse pendant trois mois consécutifs, avant la publication d’indicateurs conformes aux attentes en avril. Nous observons également que le marché est globalement vendeur des taux américains, ce qui devrait fournir un soutien technique.
Selon nous, les récentes déclarations de Jerome Powell annoncent une attitude plus accommodante de la Fed. En d'autres termes, un scénario économique qui peut raisonnablement justifier des baisses de taux entraînera un assouplissement monétaire.
Certains signes indiquent d’ores et déjà que plusieurs indicateurs perdront de leur vigueur d’ici la fin de l’année. D'une part, l'inflation sous-jacente des services dépasse largement l'inflation sous-jacente des biens, la première étant davantage alimentée par les salaires. D'autre part, les tensions semblent diminuer significativement sur le marché du travail. Par exemple, les travailleurs choisissant de quitter leur emploi de leur propre chef sont de moins en moins nombreux. Nous surveillons également de près l'évolution du coût du logement. L'inflation des loyers sur les nouveaux baux est désormais à peine positive, tandis que le « loyer-équivalent-propriétaire (LEP)» (c’est-à-dire le coût théorique de location de son propre bien par un propriétaire), une composante très importante de l'IPC (25 %), reste supérieur à 5 % en glissement annuel. Or, on observe historiquement que les nouveaux baux constituent un bon indicateur du LEP avec un délai d'environ 12 mois.
Reprise fragile en zone euro – Décélération de l'inflation confirmée
L'un des thèmes récurrents du monde post-Covid a été le dynamisme relatif de l’économie américaine par rapport à l'économie européenne. Néanmoins, on constate depuis quelque temps que les surprises positives sont plus marquées dans la zone euro qu'aux États-Unis. Cela ne devrait pas compromettre la tendance à la désinflation et une première baisse des taux de la BCE dès le mois de juin est quasiment acquise. Mais à plus long terme, l'incertitude demeure, car les récentes surprises positives devraient inciter les autorités monétaires à la prudence.
Dans l'ensemble, nous restons optimistes sur les obligations en euros. De fait, outre la dynamique de l'inflation et de la politique monétaire, l'offre et la demande devraient également jouer en faveur des obligations d'État, alors que nous avons constaté une forte concentration de l'offre (synonyme d’émissions anticipées), au cours des quatre premiers mois de l'année.
Au plan régional, nous n'avons pas de préférence relative pour les pays « core » par rapport aux pays « non core » à l'heure actuelle. Parmi les pays « core » et « semi-core », nous continuons de privilégier l'Autriche par rapport à la France et à la Belgique. Par ailleurs, certains émetteurs d'Europe centrale et orientale offrent une valeur attrayante.
Dette émergente : premier élargissement sensible des spreads depuis longtemps
Lors du précédent comité, nous sommes repassés d'une position positive à une position neutre sur la dette émergente (devise forte et devise locale). Entre la mi-avril et le début du mois de mai, nous avons constaté un élargissement des spreads de la dette en devise forte proche de 35 points de base en à peine quelques semaines. Le seul mouvement comparable au cours des 12 derniers mois a été l'élargissement de 50 points de base observé entre la fin juillet et la mi-octobre de l'année dernière.
Reflet d'un marché fortement segmenté entre les émetteurs Investment Grade et High Yield, les spreads High Yield se sont élargis de 75 points de base alors que les Investment Grade n'ont pratiquement pas varié. En l'absence de catalyseurs clairs pour un resserrement des spreads, nous préférons rester neutres malgré l’amélioration des valorisations, qui demeurent dans l'ensemble assez tendues.
Les inflexions des politiques monétaires étant désormais intégrées dans notre analyse de la dette en devise locale, nous maintenons également une opinion neutre sur ce segment. En revanche, nous sommes plus optimistes à l’égard des obligations d’entreprise des marchés émergents. Malgré des spreads encore serrés, les valorisations sont attrayantes par rapport au crédit en dollars des marchés développés, sachant que les émetteurs émergents affichent des fondamentaux très solides.
Crédit en euros : vers la fin du mouvement ?
La diminution quasi linéaire des spreads du segment Investment Grade en euros au cours de l'année dernière a ramené les primes de risque à des niveaux assez serrés. Actuellement, ces spreads sont inférieurs d'environ 20 points de base à la moyenne des cinq dernières années. Mais au vu de la qualité des fondamentaux et d'un contexte macroéconomique favorable, nous ne considérons pas que des spreads plus serrés que les moyennes historiques soient un signe de surévaluation.
Durant la saison des résultats, un peu plus de la moitié des entreprises ont annoncé des bénéfices meilleurs qu’attendu, ce qui est légèrement supérieur aux moyennes historiques. Parallèlement, le ratio dette nette/EBITDA n'a pas beaucoup varié. En outre, les baisses de taux à venir devraient constituer un facteur de soutien. Nous estimons dès lors que les spreads ont désormais atteint leur juste valeur. Nous constatons également une compression croissante des spreads entre les différentes catégories de notation. Par ailleurs les spreads des notations BBB et A sont très proches, tout comme les spreads des notations BBB et BB à la frontière entre les segments Investment Grade et High Yield.
Or, les pressions liées à l'offre sont défavorables à court terme, le mois de mai étant l'un des mois de l'année où les niveaux d'offre nette sur le marché sont les plus élevés.
Cela nous contraint à prendre nos bénéfices sur une surpondération de longue date et à redevenir neutres sur les crédits Investment Grade et High Yield en euros. Nous identifions néanmoins des opportunités intéressantes et des poches de valeur chez les émetteurs financiers (plus attrayants que les émetteurs non financiers), ainsi qu’au sein des émissions subordonnées. Une sélection active des obligations devrait permettre aux investisseurs de continuer à bénéficier de l'effet de portage tout en atténuant les risques.
Inflexion des politiques monétaires et opportunités sur les devises
Les trajectoires divergentes des politiques monétaires offrent des opportunités sur plusieurs couples de devises. Conformément à notre point de vue sur les taux, nous adoptons une position longue sur l'euro par rapport à la livre sterling. Comme nous prévoyons une désinflation plus rapide au Royaume-Uni, la BoE est plus susceptible que la BCE de surprendre par des mesures conciliantes. Cela n’étant pas compensé par une plus grande vigueur économique au Royaume-Uni, nous privilégions une position vendeuse sur la livre.
Nous avons également une position vendeuse de yuans contre dollars. La Banque centrale chinoise (PBOC) s’est inquiétée du rally trop rapide des emprunts d'État, ce qui a entraîné une flambée des rendements. Cependant, les pressions déflationnistes persistent en Chine et de nouvelles pressions baissières sur les rendements ne peuvent être exclues. Cette position pourrait contribuer à atténuer toute nouvelle hausse temporaire des rendements.