La réélection de Donald Trump en tant que 47e président des États-Unis soulève des préoccupations majeures concernant son impact sur des enjeux clés du développement durable, notamment l'action climatique. M. Trump a clairement affiché ses priorités : abroger la loi sur la réduction de l’inflation (« Inflation Reduction Act »), intensifier la production nationale d’énergies fossiles sous le slogan « Drill, baby, drill » (« Forez, les gars, forez »)[1], et réactiver le retrait des États-Unis de l'accord de Paris.
Si ces intentions inquiètent les marchés pour leur potentiel à freiner les avancées climatiques, une analyse plus approfondie révèle une mise en œuvre bien plus complexe qu’il n’y paraît. Donald Trump pourra-t-il réellement passer de la parole aux actes en matière de durabilité ?
Les promesses : un revers pour l'action climatique aux États-Unis
Tout d'abord, la loi sur la réduction de l'inflation (IRA) : bien que Donald Trump ait promis une abrogation immédiate (qualifiant cette loi d’ « escroquerie du Pacte vert »), une suppression complète semble hautement improbable. Le prochain président pourrait toutefois recourir à des mesures visant à en limiter l’impact : resserrer les critères d’éligibilité aux crédits d’impôt, réduire ceux liés aux véhicules électriques, au solaire résidentiel ou à l’éolien offshore, ou encore suspendre les subventions et prêts pour les projets d’énergie verte. Cela serait d’autant plus probable dans un contexte où l'administration Trump chercherait à réaliser des coupes budgétaires faciles.
Reste que l’IRA a déjà engendré des centaines de milliards d’investissements dans les énergies propres et la fabrication de technologies vertes, telles que le solaire, le stockage d’énergie ou les semi-conducteurs. De nombreux projets en cours contribuent activement à l’économie locale, en générant des emplois et en stimulant la croissance. Par ailleurs, une grande partie de ces initiatives profite à des Etats dirigés par les Républicains, où elles bénéficient d’un soutien significatif. Le Texas, par exemple, représente aujourd’hui un tiers de la capacité éolienne terrestre des Etats-Unis et a considérablement accru sa production solaire.
Ainsi, même si des ajustements sont possibles, l’impact d’une abrogation se limiterait principalement aux fonds encore non engagés.
Deuxièmement, l'expansion de la production nationale de combustibles : le slogan "Drill, baby, drill" de Donald Trump devrait avoir un impact modéré. En effet, la production de pétrole repose davantage sur la demande mondiale et le prix du baril que sur la seule volonté présidentielle.
Troisièmement, la clean tech: les secteurs des énergies propres et renouvelables pourraient pâtir des incertitudes entourant les incitations fiscales et des éventuelles évolutions des politiques commerciales et monétaires aux Etats-Unis. Cependant, il est plus probable que ces facteurs freinent leur progression plutôt qu'ils n'engendrent un véritable retour en arrière.
Même si certaines entreprises ont déjà annoncé réduire leurs projets d’investissement, nous anticipons une poursuite de la croissance des capacités en énergies renouvelables. Cette dynamique devrait être soutenue par une demande accrue en électricité, des avancées technologiques et une baisse des coûts, ainsi que par des conditions favorables pour l’éolien et le solaire dans certains Etats.
Par ailleurs, les producteurs américains d’énergie verte pourraient même bénéficier des droits de douane imposés sur les produits chinois, un effet collatéral potentiel du retour de M. Trump à la Maison Blanche. L’énergie nucléaire, de son côté, devrait continuer à bénéficier d’un soutien bipartisan.
Les actes: la décarbonisation dépendra beaucoup de l'économie et de la géopolitique
Le retrait probable des Etats-Unis de l'accord de Paris constitue une mauvaise nouvelle pour l'action climatique, compte tenu de l’importance des émissions et du financement du pays dans ce domaine. Cependant, à ce jour, une grande partie de la communauté internationale demeure engagée dans la décarbonisation et la transition vers les énergies renouvelables, y compris la Chine, qui reste un acteur clé de cette transformation énergétique mondiale.
Un tel retrait des Etats-Unis de leurs engagements climatiques pourrait servir de prétexte à d'autres pays pour ralentir leurs propres efforts. Toutefois, il est difficile de prédire l'impact que cela aurait sur la vitesse de la transition énergétique, le déploiement des énergies renouvelables étant de plus en plus motivé par des raisons économiques et soutenu par des considérations géopolitiques et commerciales. Ce qui semble en revanche probable, c'est que le prochain mandat de M. Trump devrait accentuer la régionalisation des chaînes d'approvisionnement en technologies propres.
Nous estimons que l'abrogation des objectifs climatiques fixés par le président Biden n’arrêtera pas le processus de décarbonisation de l'économie américaine, porté principalement par des secteurs comme celui de l’électricité. Cette dynamique solide a déjà survécu au premier mandat de Trump, soutenue par des conditions économiques favorables, telles que le remplacement du charbon par le gaz bon marché et l’amélioration de la rentabilité des énergies renouvelables.
Entre 2016 et 2020, sous le premier mandat de Donald Trump, les installations en énergie solaire ont progressé de 32 % et celles en énergie éolienne de 69 %, tandis que les ventes de véhicules électriques ont doublé entre 2017 et 2021. Lorsque la politique ou l’idéologie ne soutiennent pas les énergies plus propres, ce sont l’économie et les avancées technologiques qui prennent le relais.
Déréglementation et risques de fragmentation dans l'ESG
Lors de son premier mandat, Donald Trump a affaibli le pouvoir et l’indépendance d’agences fédérales clés dédiées à la protection de l’environnement, notamment l’Agence américaine de protection de l’environnement. Des centaines de lois fédérales environnementales avaient été abrogées. Nous nous attendons à ce que ce scénario se reproduise, laissant prévaloir un enchevêtrement de réglementations au niveau des Etats. Cela pourrait entraîner une réduction, voire une suppression, des normes d'émissions et de pollution dans plusieurs industries, bénéficiant ainsi aux producteurs de pétrole et de gaz, en particulier aux plus petits d'entre eux.
La faible impulsion fédérale, combinée à la liberté totale laissée aux Etats, risque de fragmenter les politiques en matière de durabilité. Tandis que des Etats comme la Californie pourraient imposer des obligations strictes concernant les rapports et l'intégration des risques en matière d’ESG (environnement, social et gouvernance), d’autres Etats, à majorité républicaine, pourraient aller jusqu’à interdire de telles pratiques. Cette situation représenterait un défi pour les entreprises et les investisseurs, en amplifiant le risque de litiges autour des pratiques ESG. Elle pourrait également renforcer le phénomène de « greenhushing », cette tendance des entreprises à masquer leurs initiatives et performances en matière d’ESG afin de se prémunir contre les controverses ou les sanctions.
Bien que ces évolutions n’envoient pas un signal favorable aux investisseurs responsables ni aux entreprises engagées dans le développement durable, elles ne réduiront pas l’importance des enjeux ESG. Le changement climatique restera un défi majeur, tant en matière de transition énergétique que d’impacts physiques. Sur le plan social, attirer et fidéliser les talents demeurera une priorité stratégique pour les entreprises, que des conditions de travail équitables soient ou non formalisées dans la réglementation.
Dès lors, il pourrait devenir plus complexe de distinguer les discours des actions concrètes, rendant une analyse fondamentale approfondie indispensable pour démêler les annonces faites sur X (anciennement Twitter) de la réalité des faits.
Des risques également sur le plan social
Sur le plan des droits de l'homme, Donald Trump a annoncé son intention de créer des camps de détention, d'organiser des déportations massives et de recruter des milliers d'agents aux postes frontières, en réaffectant une partie des dépenses militaires vers la sécurité frontalière. Il prévoit également de rétablir la politique controversée « Rester au Mexique » (officiellement « Protocoles de protection des migrants »), mise en place lors de son premier mandat, qui oblige les demandeurs d’asile à attendre au Mexique pendant le traitement de leur dossier.
Par ailleurs, Donald Trump pourrait revenir à la politique de séparation des familles, qui avait conduit à la prise en charge d'environ 5 000 enfants par le Bureau de réinstallation des réfugiés, placés en foyers ou familles d'accueil, pendant que leurs parents étaient poursuivis pour passage illégal de la frontière. Cependant, des incertitudes demeurent quant au financement de ces projets et à la capacité de recruter les agents frontaliers supplémentaires nécessaires pour les mettre en œuvre.
L'éducation fait aussi partie des priorités de Donald Trump. Il considère que les initiatives du président Biden en matière de prêts étudiants constitue un gaspillage de l'argent public. Il a également exprimé son intention de remplacer les organismes d'accréditation qui supervisent les collèges et les universités, et d'imposer de nouvelles normes comme la suppression des postes et des mesures en dédiés à la diversité, l'équité et l'inclusion.
Trump s'est également engagé à fermer le ministère fédéral de l'éducation, qui alloue des milliards de dollars à l'enseignement supérieur pour les étudiants à faibles revenus. Le ministère gère environ 1 500 milliards de dollars de prêts étudiants pour plus de 40 millions d'emprunteurs. Bien qu'un démantèlement majeur nécessite l'approbation du Congrès, M. Trump pourrait chercher à réduire drastiquement son financement et à transférer certaines responsabilités clés à d'autres agences.
Dans le domaine de la santé, ses priorités devraient probablement inclure de grands objectifs en matière de santé publique et d’amélioration des résultats, ce qui pourrait limiter l’attention portée à une réforme majeure des programmes de protection et potentiellement réduire les efforts d’innovation du pays. Les laboratoires pharmaceutiques et les gestionnaires de prestations pharmaceutiques devraient continuer à faire face à des pressions pour réduire les prix des médicaments et améliorer la transparence tarifaire. Par ailleurs, l'accent pourrait être mis sur les soins reposant sur la valeur des prestataires de santé, au détriment du modèle traditionnel de paiement à l'acte.
La nomination de Robert F. Kennedy Jr. à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux, combinée au scepticisme de la nouvelle administration envers l'industrie pharmaceutique et à l'accent mis sur la réduction des coûts, pourrait limiter les ressources de l'agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). Cela pourrait aussi ralentir l'approbation des nouveaux médicaments, avec une priorité accrue accordée à la sécurité. Si les frais de dossier venaient à être supprimés, la situation financière de la FDA pourrait être gravement affectée. Par ailleurs, bien que Robert F. Kennedy Jr. insiste sur l'importance d'une alimentation saine, les agonistes des récepteurs du GLP-1[2] pourraient néanmoins demeurer un levier essentiel pour atteindre les « résultats significatifs en matière de santé dans les deux ans », promis par Donald Trump.
Notre analyse de la durabilité sociale sous une présidence de Donald Trump souligne un potentiel recul des droits de l'homme, notamment à travers des politiques telles que la déportation des immigrés ou des restrictions à l'accès aux soins de santé. Ces mesures risqueraient globalement de pénaliser les familles à faibles revenus. En outre, les coupes budgétaires dans l'éducation pourraient toucher de manière disproportionnée les élèves issus de milieux modestes ou ayant des besoins spécifiques, exacerbant ainsi les inégalités sociales.
Tenir bon dans un océan d’incertitudes
Alors qu'une nouvelle présidence de Donald Trump présente des défis en matière de durabilité, les dynamiques sous-jacentes de la décarbonisation et des énergies propres devraient néanmoins se maintenir, soutenues par des facteurs économiques dépassant les enjeux politiques. Toutefois, des inquiétudes demeurent en raison d’une possible déréglementation fragmentée et des risques sociaux.
Dans ce contexte complexe et instable, rester informé, agile et engagé est essentiel pour atteindre des objectifs durables. Cela implique de se préparer à relever les défis potentiels et à affronter les incertitudes à venir, tout en continuant à faire avancer les choses et à progresser vers un avenir plus équitable, malgré les turbulences politiques.
[1] « Drill, baby, drill » était un slogan utilisé par le Parti républicain lors de l’élection présidentielle américaine de 2008, promouvant une intensification des forages pétroliers. En 2024, Donald Trump l’a remis au goût du jour. Trump’s Drill-Baby-Drill Vow Is More Ethos Than Policy - Bloomberg
[2] Les agonistes des récepteurs du peptide 1 de type glucagon (GLP-1) constituent une classe de médicaments principalement utilisée pour traiter le diabète de type 2. Certains d'entre eux sont également approuvés pour gérer le surpoids et l'obésité. Parmi les marques les plus connues figurent Ozempic et Wegovy.